Le Tampon et la dynastie des Kerveguen
Le Parc des Palmiers
Il est entré dans nos habitudes, à l’occasion de nos sorties dites pédagogiques, de lier des lieux à des hommes. Aujourd’hui, nous sommes au Tampon et ce matin nous avons visité le Parc des Palmiers. S’il y a une famille qui a modifié pendant un siècle le paysage agricole, économique et financier de La Réunion, particulièrement le Sud de l’île et notamment le Tampon, c’est bien celle des Kerveguen.
Jusqu’en 1925, le Tampon était un quartier de la commune de Saint-Pierre. En dehors de quelques concessions cultivées en café dans sa zone basse, ce quartier était au 18ème siècle une vaste et magnifique forêt, connue seulement par les noirs-marrons qui allaient se cacher jusqu'à La Plaine des Cafres (ce qui, par ailleurs, explique le nom de ce lieu-dit).
A la Révolution arrive à Bourbon, un personnage auquel l'histoire du Sud de l’île est étroitement liée, le Comte Denis-Marie Fidèle Amand Constant Le Coat de Kerveguen. Noble et ruiné, il s'installe à Saint-Pierre en 1796, dans une région à peine peuplée et se met à acheter toutes les terres de la région, si bien qu'au début du XIXème siècle toute la région du Tampon est une terre Kerveguen.
Si vous le voulez bien, nous allons continuer sur l’histoire du Tampon et nous allons revenir sur la dynastie Kervéguen tout à l’heure.
A partir de 1872, plusieurs essais de distillation eurent lieu au Tampon. Les frères Peverelly distillèrent le vétiver, et Bois Joli Potier se livra à des expériences sur le géranium. Il découvrit un procédé facile de distillation vers 1887. Le géranium convenait parfaitement à cette région dépourvue de moyens de communications. C'était un produit de faible volume, aisément transportable et qui se vendait très cher. Les habitants de la région se firent bûcherons et abattirent la forêt toute entière entre 1900 et 1920 pour la transformer en un immense champ de géranium.
Sur la ligne des 600, qui était aussi la route Hubert Delisle, s'installèrent de ravissantes petites maisons en bardeaux, faîtes avec les arbres abattus sur place, toutes entourées de jardins et de fleurs dont certaines subsistent de nos jours. Rapidement, la culture du géranium explosa car la concurrence mondiale était quasi inexistante et La Réunion pouvait imposer ses prix. L'année record fut 1925 : On produisit 174 tonnes d’huile essentielle qui se vendait jusqu'à 20 000 frs CFA le litre.
En 1910, débuta la construction de la première église du Tampon sous l'influence du Père Eugène Rognard. La messe inaugurale de l'église du Tampon eut lieu le 16 juin 1912, par le Père Rognard lui-même. Elle prit le nom de Saint-François de Sales.
La ville du Tampon prit tellement d’importance que le 29 juillet 1924 à la Chambre des Députés, Monsieur Daladier, ministre des Colonies, présenta un projet de loi tendant à détacher Le Tampon de la commune de Saint-Pierre. La loi fut promulguée au journal officiel le 21 mars 1925 et Égard Avril fut élu premier maire de la commune.
La nouvelle commune se trouvait alors étagée entre 400 et 1 800 m d’altitude.
Pendant de longues années, de nombreux petits propriétaires tamponnais vécurent du géranium. Puis, l'Afrique du Sud, l'Égypte et le Kenya se mirent à cultiver cette plante, ce qui provoqua une chute des prix et une forte diminution de la rentabilité du produit réunionnais.
Dans la seconde moitié du 20ème siècle, l'amélioration des conditions de vie résultant de la mise en place de la départementalisation, la réalisation de grands équipements et le volontarisme des équipes municipales transformèrent la commune en un pôle d'attraction et d'activités multiples telles que l'agriculture, l'artisanat, le tourisme.
En 1979, la commune du Tampon s'est agrandit en absorbant la région du Piton de la Fournaise à proximité de la Plaine des Cafres et, en 1989, la commune décida la construction de la Maison du Volcan.
Pa ailleurs et depuis plus de 30 ans, la commune du Tampon accueille une manifestation agricole et festive sous le nom de « Miel Vert », très appréciée des réunionnais.
S’agissant du Parc des Palmiers que nous avons visité ce matin, il est né à la suite d’une collaboration qui s’est développée entre l’Association Palmeraie-Union et la Commune du Tampon, en vue de réaliser un grand projet de Parc Botanique. Monsieur Pierre VALCK, Conservateur Honoraire des Jardins Botaniques de Nancy a été choisi pour présenter les études préliminaires du projet en 1998.
Le but était de créer à terme un vaste parc paysager de près de 20 hectares, présentant une collection unique de palmiers d’environ 40 000 sujets regroupant plus de 1 000 espèces différentes.
Il est à noter qu’il existe à travers le monde 2 800 espèces de palmiers réparties en 190 genres.
Inscrit dans une démarche environnementale, économique et sociale, le Parc des Palmiers de Dassy est un atout exceptionnel pour la Commune du Tampon. Référence mondiale pour les scientifiques et site touristique incontournable, le Parc des Palmiers a vocation à rayonner sur la région Sud et bien au-delà, à l’échelle régionale et même internationale car il espère devenir la plus importante collection de palmiers au monde.
Le Parc des Palmiers c’est l’invitation à une promenade avec une vue exceptionnelle sur le littoral sud, ainsi que sur les chaînes de montagnes du Grand Bénare au Piton des Neiges. En petite foulée ou en course d’endurance, le Parc des Palmiers est également un parcours de santé qui fait le bonheur de ceux qui apprécient le grand air. Son cadre enchanteur fait de la palmeraie un lieu privilégié pour photographier les cérémonies de mariages.
Passons maintenant à la dynastie Kerveguen. Quatre générations vont marquer La Réunion.
Première génération : Denis-Marie Fidèle Amand Constant Le Coat de Kerveguen (appelé Denis) est le premier de la ligné arrivé dans l’île en1796. La Révolution pousse ce fils de bourgeois ruiné, à fuir la Révolution française et à vouloir faire fortune dans les colonies. Bourbon est habité depuis à peine 50 ans où tout est encore à faire. Débarqué dans l’estuaire de La Rivière d’Abord, il s’installe à Saint-Pierre. Il ouvre un commerce de détail, avant de se lancer dans l’import-export et le commerce d’épices.
Quelques années plus tard, il se marie à une créole fortunée, Angèle-Césarine Rivière qui lui apporte en dot les propriétés de Manapany et Saint-Joseph. C’est le départ d’une nouvelle aventure, celle de la culture de la canne à sucre et des épices. De ce premier mariage naissent 5 enfants : Louis-Gabriel, qui sera appelé Gabriel (né le 10 mars 1800), Marie-Claude Adélaïde (née le 12 janvier 1802), Joseph Louis Antoine (né le 15 juin 1803, mort le 11 février 1811), Marie-Thérèse Françoise (née le 15 novembre 1804), Augustin Charles Armand (né le 10 juillet 1806). L’épouse de Denis décède en février 1815.
Ce dernier tente plusieurs expériences commerciales et financières : tissus, boulangerie, prêts avec intérêts, tout en développant ses activités agricoles.
Déjà fortuné, il se marie à nouveau à une riche héritière, Geneviève Hortense Lenormand qui lui apporte une dot encore plus conséquente que sa première épouse, dont le domaine des Casernes. Les terres à cannes et à épices se développent et le nombre d’esclaves sous sa coupe augmente considérablement. Il sera père de trois autres enfants : Denis-François (né le 17 avril 1817), Louise Thérèse (née le 30 novembre 1819), Ferdinand (né en 1821, mort à l’âge de 6 ans)
Deuxième génération : Gabriel le Coat de Kerveguen et Augustin le Coat de Kerveguen du premier lit et Denis-François le Coat de Kerveguen du second lit.
L’ainé des garçons, Gabriel se révèle bon commerçant et doué pour les affaires. Il seconde efficacement son père dès 1820. Denis meurt en 1827, il laisse une fortune solidement établie : une centaine d’esclaves, 330 hectares de champs cultivés en cannes à sucre et en épices et une fortune de plus de 1,2 millions de livres. Belle réussite, car, à cette époque, seuls 3% de Parisiens ont un patrimoine de ce niveau. Ses restes seront ramenés à Paris par son fils Gabriel et déposés dans le caveau familial au Père-Lachaise.
Gabriel à 27 ans. Il gère les affaires de la famille d’une main de maître, fait construire une usine sur le domaine des Casernes où il édifiera le premier alambic et la première distillerie. Il commence à spéculer sur le café.
En 1829, avec son frère Augustin, Gabriel développe son entreprise d’import-export en achetant un premier navire « Le Renard ». D’autres suivront. Concessionnaire d’une Marine, ils se lancent dans le commerce avec les pays de la zone Océan Indien, avec la Chine et la Métropole. Pour faciliter encore plus ses échanges, Gabriel pense à un projet de port pour Saint-Pierre et propose des plans au Gouverneur Darricau.
A 31 ans, Gabriel se marie avec Anne-Marie Chaulmet qui lui apporte le Domaine de la Ravine des Cabris. Il a un fils Denis-André (né le 6 janvier 1833) et une fille Marie-Angèle Emma (née le 3 novembre 1835), qui deviendra la Marquise de Trévise en épousant le grand Chambellan de Napoléon III.
Augustin épouse Thérèse Bergonié mais ne laisse pas de descendance, son unique fille étant morte en bas âge.
Les deux frères Augustin et Gabriel se lancent dans la politique, ils sont élus à Saint-Joseph et Saint-Pierre.
Gabriel, fin stratège, investi dans le foncier à Saint-Louis, Saint-Pierre et Saint-Joseph. En 1834, il achète l’usine de Quartier-Français à Ste-Suzanne. A cette époque les banques et organismes de prêts, n’existent pas. Gabriel va emprunter de l’argent à un faible taux et le prêter à un taux plus élevé. Les biens de ses emprunteurs sont hypothéqués et les colons confrontés aux difficultés financières doivent lui céder leurs propriétés.
L'impopularité de la famille Kerveguen, qui s'est développée au fil des temps, vient certainement de ces pratiques, qui deviennent souvent de véritables pièges pour les colons qui hypothèquent leurs biens. On dit de façon sans doute exagérée que les Kerveguen ont gagné plus d'argent avec les intérêts des prêts qu'avec le fruit de leurs récoltes.
Vers 1840, la fortune des Kerveguen est aussi puissante que celles des Desbassayns ou des Rontaunay. Les hauts de Saint-Louis, de Saint-Pierre, le Bras de Pontho, Montvert tombent dans leurs escarcelles.
Dans chaque ville du sud de l’île, leurs magasins d’import-export, présentant un large choix de marchandises au détail deviennent incontournables. A l’approche de l’abolition de l’esclavage, les petits planteurs tentent de se défaire de leurs esclaves. Bien informé des indemnités qui seront versées par l’Etat, Gabriel les rachète et réalise de substantiels bénéfices.
En 1855, il possède en plus de l'usine de Quartier-Français, celles de Piton Saint-Joseph, de la Chapelle Cocos de Saint-Louis et des Casernes à Saint-Pierre.
Pour payer ses nombreux engagés sur ses propriétés et dans ses usines et distilleries, Gabriel de Kerveguen utilise des Kreutzers, pièces autrichiennes démonétisées qui s’appelleront Kerveguen.
Il domine de tout son poids tous les décideurs de l'île et il est difficile de contrarier ce monsieur dont la richesse lui confère des pouvoirs très étendus. Le gouverneur Darricau écrivait à ses supérieurs en France : « J'ai dû user de grands ménagements envers Monsieur De Kerveguen. Si j'eusse évincé sa proposition ainsi que je pouvais le faire, il était à craindre qu’il exigeât immédiatement de la banque un remboursement de ses actions et de ses dépôts, qui auraient absorbé toute son encaisse métallique et nous eût plongés dans une bien autre crise ».
L’aîné du deuxième lit, Denis-François a vécu de façon très effacée jusqu’à l'âge de 28 ans à Saint-Pierre, profitant des richesses familiales. Lassé des disputes avec son demi-frère, il décide de partir pour la France en 1845 et s'installe dans leur hôtel particulier de la rue Helder, à Paris, près de l’actuel opéra.
À Paris, Denis-François mène une vie oisive, fréquente les soirées mondaines. C’est ainsi qu'il rencontre Adèle Ferrand. Cette jeune fille est une artiste-peintre de grand talent : cinq ans auparavant, les beaux-arts de Paris lui ont commandé sur décision du ministre de la Culture l'exécution d'une copie du Christ de Proudhon, pour la décoration de la cathédrale de Toul. Ils se marient le 2 février 1846 à Paris et, le 1er décembre de la même année, naît Hervé Le Coat de Kerveguen. En 1847, la petite famille rentre à la Réunion, où Adèle n'aura que peu de temps pour connaître les différends familiaux et peindre quelques tableaux et portraits. Elle meurt subitement le 1er avril 1848.
Denis-François se lance en politique après la mort de son épouse. Il est élu au conseil municipal de Saint-Pierre en 1849 et devient maire de 1851 à 1853. Entre-temps, il s'est remarié à Augustine Motais de Narbonne le 15 janvier 1852. Il demeure conseiller municipal jusqu'à sa mort.
Malgré les différents qui opposent les deux demi-frères, dès que Denis-François est élu à la mairie de Saint-Pierre, Gabriel met à sa disposition des esclaves et des moyens financiers pour faire construire des routes, des canaux d’irrigation et d’alimentation en eau. Le Canal Saint-Étienne en est un exemple.
Gabriel donne des terrains et des sommes importantes aux autorités religieuses avant son départ pour Paris où il décède en 1860. Il laisse à son fils Denis-André et à son petit-fils Robert, un domaine qui couvre de vastes propriétés agricoles entre 150 et 1 000 mètres d’altitude sur Saint-Louis, Saint-Pierre, Saint-Joseph ainsi que 16 usines. Les héritiers investiront encore dans le foncier à Vincendo, Ravine des Cabris ou encore Bras Martin.
Troisième génération : Denis-André le Coat de Kerveguen, Augustin le Coat de Kerveguen (sans descendance) et Hervé le Coat de Kerveguen.
Denis-André qui a épousé Adèle de Mahy aura 3 enfants : Emmanuel, Gabrielle et Robert.
En 1879, les pièces étrangères sont interdites sur le territoire et Denis-André doit rembourser à l’Etat 814 000 Kreutzers qu’il avait continué à introduire dans l’ile alors que l’autorisation avait été donnée que pour 250 000 de ces pièces d‘argent.
Hervé épousera une demoiselle Doussart et il aura 4 enfant : Raoul, Zélie, Adèle et marguerite. Il laissera à sa mort, en 1922, en legs au musée Léon-Dierx, quelques beaux tableaux, œuvres de sa mère. Il est le seul Kerveguen à avoir sa tombe à la Réunion, au cimetière de Saint-Pierre. Son fils Raoul, à l'exemple de son père, raffermira les liens avec les descendants du premier lit, en travaillant en parfaite harmonie avec les enfants de son oncle Denis-André, ses cousins Emmanuel et Robert.
Plus tard, abandonnant la doctrine de la famille "Ténacité et Labeur", Robert, le fils de Denis-André, paie les dettes de la famille et liquide les propriétés les unes après les autres avant de gagner définitivement la France métropolitaine où la famille a une propriété.
D’après Nicolas de Launay de la Perrière, cette propriété en métropole serait le vaste terrain de Marne la Vallée sur lequel s’est installé Disneyland Paris.
Quatrième génération : Emmanuel le Coat de Kerveguen (marié à Gabrielle Trubert) donne naissance à Guy, Marie et Thérèse. Robert le Coat de Kerveguen (marié à Augustine de Villèle) donne naissance à Gabriel (mort-né en 1918), Geneviève, Anne, Jean (mort à 13 ans), Pierre, Yves et Hélène. Raoul le Coat de Kerveguen (marié à Isabelle Burette), n’a pas eu d’enfants.
Cinquième génération (Aucun membre de la cette génération n’a vécu à la Réunion) : Yves le Coat de Kerveguen (marié à Noëlle de Fry), Alexandra le Coat de Kerveguen, Robert le Coat de Kerveguen (resté célibataire) et Isabelle le Coat de Kerveguen.
Yves, était député maire de la ville de Vigny, située à une quarantaine de km de Paris, en direction de Rouen, où son père, en quittant la Réunion avait acheté un magnifique château médiéval de 115 pièces, 76 chambres, 58 salles de bain et un immense terrain disposant d’une belle église. Il est mort le 7 septembre 2007.
En 2016, il ne resterait que deux Kerveguen issus de la saga réunionnaise encore vivants en métropole : Robert (qui serait âgé de 53 ans) et Isabelle Kerveguen.
Source des informations sur la famille Kerveguen
I) D’après Sabine Thirel qui s’est elle-même inspiré des ouvrages suivants :
« Histoire d’une dynastie insulaire, les Kerveguen » de Philippe Pluchons
« L’île de la Réunion - Etude de géographie humaine » de Jean Defos du Rau
« Une colonie île à sucre » et « L’homme et le sucre à La Réunion » de Sudel Fuma
II) Dictionnaire généalogique des familles de l'Ile Bourbon - C. Ricquebourg
Caveau familial des Kerveguen au Cimetière du Père-Lachaise à Paris
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